Hier soir, le Parti Pirate vaudois a pu participer à l’émission Infrarouge, consacrée à la loi sur le prix unique du livre (LPL), prochainement soumise au vote. Sous un faux air de conflit générationnel, le sujet a été vivement débattu, en n’évoquant que trop peu le contenu de la loi elle-même. Et pourtant, c’est le seul aspect réellement important.
Pourquoi ? Parce qu’au final, c’est elle qui aura un effet concret. On peut promouvoir tant qu’on veut une loi sur la diversité cinématographique, celle-ci n’aura aucun effet si elle ne légifère que sur la couleur du popcorn.
Le Parti Pirate est, par essence, très sensible à l’argument d’une diversité culturelle du livre, plus particulièrement quant à son accès au plus grand nombre. Retrouver les Pirates dans le camp du « Non » vous étonne, ou même vous choque ? Sans (trop (mais un peu quand même)) revenir sur “ces jeunes qui n’ont rien compris” (clin d’œil à l’émission ), essayons d’expliquer sommairement pourquoi nous sommes contre.
La réponse en très bref: Parce que nous avons lu la loi en question.
(Je ne saurais me prononcer à propos des partisans du “Oui” du débat Infrarouge)
En un peu moins bref: Non seulement nous avons lu la LPL, mais nous avons réfléchi à son application, et à ses conséquences. Et devinez quoi ? Manifestement, elle va provoquer le contraire de l’effet recherché !!!
Impossible, direz-vous, comment une loi supposée “assurer une diversité culturelle du livre en soutenant les petites librairies” pourrait-elle travailler à contresens ?
Vous avez 5 minutes ? Ok, on vous explique 😉
Le top, pour une compréhension idéale, serait de vite aller la lire. Elle ne fait que 4 pages de texte bien aéré, et bien compréhensible.
Ensuite, 1-2 tout petits éléments sur le fonctionnement du marché du livre.
D’une part, comme le mentionne M. Vandenberghe dans son “appel aux librairies”, 80% des livres vendus en Suisse romande sont importés de France. Le problème de prix élevé, subi depuis toujours par les suisses, concerne donc essentiellement des livres français.
Comment fonctionne ce marché, comment un livre français arrive-t-il dans une librairie suisse ? L’éditeur français passe par un distributeur/diffuseur (2 jobs différents, généralement assurés en Suisse par la même entreprise), et ce diffuseur-distributeur met le catalogue des éditeurs qu’il représente à disposition des librairies.
Les éditeurs, eux, ne veulent qu’un seul interlocuteur. Chaque distributeur-diffuseur (dont voici une liste) a donc le monopole sur le catalogue qu’il propose. Et vous vous doutez bien que Dargaud et Flamarion, ayant leur propre distributeur-diffuseur en Suisse, ne vont pas passer par l’OLF, Diffulivre ou Servidis.
Nous avons donc de splendides monopoles de distribution, doublés parfois de cartels éditeur-distributeur-diffuseur en assaisonnement. Et devinez quoi ? De l’avis des grands libraires autant que des petits, il paraîtrait que ces distributeurs-diffuseurs en abusent un peu. D’où un prix exceptionnellement haut comparativement aux prix français et en ligne.
Avec ces bases, nous pouvons maintenant aborder cette diabolique LPL !
Que dit-elle ?
Art. 1 But
La présente loi vise à:
a. promouvoir la diversité et la qualité du livre en tant que bien culturel;
b. garantir que le plus grand nombre possible de lecteurs aient accès aux livres
aux meilleures conditions.
“Ben voilà, vous voyez, elle fait bien ce que les partisans de cette loi annoncent !”
Sauf que non. La présente loi VISE à ….
Elle ne “fait” pas, elle a “pour objectif de s’appliquer à essayer de” faire. Il ne s’agit guère plus que d’une petite “intro” de mise en bouche, nullement contraignante. Fort heureusement, d’ailleurs, puisque le reste des articles vont, concrètement, s’appliquer à produire l’effet inverse.
Sceptiques ? Ok, allons à l’Article 4, alinéa 1:
Art. 4 Détermination du prix
1 L’éditeur ou l’importateur détermine le prix de vente final des livres qu’il a édités
ou importés.
Vous sentez cette petite odeur de brûlé ? Hé oui, c’est notre importateur (le fameux distributeur-diffuseur abusant de sa position) qui fixe le prix final ! Et là, il n’y a pas à chipoter, la LPL ne dit pas “l’importateur vise à éventuellement déterminer”. C’est lui qui le fait, point.
Il choisit donc à quel prix il vend les livres aux libraires, et leur impose le prix de vente final de son choix (Art. 5). S’il n’a pas été particulièrement philanthrope jusqu’ici, il y a vraiment peu de chance que la situation s’améliore si on lui donne les pleins pouvoirs.
“Oui, mais au moins le prix unique met les libraires sur un pied d’égalité, et si ce prix est vraiment excessifs, la loi donne des moyens de le faire baisser”.
Excellente remarque, attardons-nous un peu dessus !
Si le prix de vente final est fixe, le prix distributeur-libraire, lui, ne l’est absolument pas. Les grosses enseignes (FNAC, Payot), pourront négocier de bien meilleurs prix (et le font déjà), de par leur volume important. Le distributeur fera même un geste de plus si le libraire accepte de “placer” des livres ne l’intéressant pas de prime abord.
Résultat ?
Non seulement la petite librairie se fait une marge bien moindre que la grosse, mais la grosse est “forcée” (par le prix unique) de se faire une marge peut-être plus importante que si le prix n’était pas imposé.
Supposons maintenant que Monsieur Prix (sous le bénéfice d’un miracle quelconque) ou autre “Représentant de la branche” (Art. 12) fasse baisser le prix final:
Pour mieux illustrer la problématique, imaginons que ce prix baisse progressivement. L’importateur, toujours pas philanthrope, n’a pas de raisons majeures de faire des efforts et adapter ses prix. Au moment ou la petite librairie voit sa marge se réduire jusqu’à néant, la marge de la grosse enseigne a également diminué, mais existe toujours.
En résumé, donc, si le prix des livres reste généralement haut, les petites librairies mourront plus lentement, mais le prix prohibitif poussera le client vers des solutions alternatives (achats en France, ou en ligne). C’est l’article 1b qui en prend un coup.
Et si ce prix baisse, il ne fera qu’accélérer la chute des petites librairies. Et voilà une belle manchette pour l’article 1a.
Nous avons donc le choix entre une diversité au prix inaccessible, ou sa disparition à un prix plus raisonnable.
Effectivement… Nous, jeunes, n’y comprenons plus rien. Seule la corde, pour pendre la diversité culturelle du livre accessible au plus grand nombre, n’est pas fournie par la LPL.
Ça aurait pourtant été la moindre des politesses….
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